Tranches de vie
Les recherches sur l’ancien tramway nous ont amenés à rencontrer plusieurs personnes qui ont connu cette époque. La discussion avec elles s’est alors parfois égarée mais nous avons jugé opportun de vous faire partager leurs souvenirs.
LES MÉDAILLES d’ALBERT SARAZIN mécanicien-chauffeur de tramway.
Au cours de l’été 2011 une personne de sa famille nous a remis sa photo ornant autrefois le mur de la salle à manger familiale située rue de la cassette à Poitiers. La maison avait vue sur les voies de chemins de fer. Albert Sarazin avait une allure qui imposait le respect à toute la famille. Parfois on disait aux enfants, en le montrant : « tu vas voir quand le grand-père va revenir ! »
Vue vers la rue de la cassette à l’époque, à partir du pont de chemin de fer enjambant la voie Paris-Bordeaux.
Elle nous a remis aussi les trois médailles retrouvées dans les archives familiales. Merci à ce généreux donateur qui, pendant quelques minutes nous a fait revivre les difficultés de l’immédiat après-guerre et l’odeur enivrante des foins en traversant à vélo les vallées qui mènent à Quinçay. Ecrira t-il un jour ses passionnants souvenirs de jeunesse ?
La première correspond à la médaille d’honneur des travaux publics. Description selon : http://www.france-phaleristique.com
Médaille ronde ,du module de 32 mm.Gravure de Louis-Oscar ROTY.Sur l’avers : l’effigie de la République coiffée du bonnet phrygien et couronnée, est entourée de la légende REPVBLIQVE FRANÇAISE. Sur le revers : un cartouche nominatif rectangulaire reposant sur divers outils de chantier, En l’occurrence une locomotive de face (avec 2 tampons) est entourée par une couronne mi- feuilles de chêne, mi- feuilles de laurier. Cet ensemble est entouré, par la mention Ministère des travaux publics Chemins de Fer SARRAZIN Albert 1924 (avec 2 R !) Sur le ruban un petit module représente une locomotive.
la deuxième est probablement en laiton. Médaille ronde, du module de 67 mm.Gravure de Rives ??.
Sur l’avers : l’effigie de la République coiffée d’un casque et d’un coq gaulois, est bordée à droite de la légende FRANÇE avec un soleil levant.Sur le revers : un cartouche nominatif circulaire avec la mention : « Union Technique des Chemins de Fer d’intérêt local et tramways de France Mr SARAZIN Albert 12 ans de service 1906 » Cet ensemble est entouré par une couronne de feuilles de laurier et à gauche une divinité.La troisième est en métal argenté. Médaille ronde, du module de 50 mm.Gravure de Rirès ??.
Sur l’avers : l’effigie de la République coiffée d’un casque et d’un coq gaulois, est bordée à droite de la légende FRANÇE avec un soleil levant.Sur le revers : un cartouche nominatif circulaire avec la mention : « Union Technique des Chemins de Fer d’intérêt local et tramways de France 31 ans de service [ SARAZIN ]
RENCONTRE DE FEVRIER 2011 AVEC ROGER M. DE LAVAUSSEAU
La famille de Roger M. vit depuis 1620, à Lavausseau. Roger y est né en 1923 dans la Grand’rue à quelques dizaines de mètres de la Boivre et il y a toujours vécu,. Son atelier de menuisier-charpentier-tonnelier conserve les outils rangés religieusement. A 15 ans après trois années de cours élémentaire à Poitiers il a appris le métier de son père qui le tenait lui-même du grand-père. Son apprentissage a été dur, le travail commençait au lever du soleil et se terminait après sa disparition « derrière la palisse » et ce, du lundi matin au dimanche midi. Le déplacement sur les chantiers se faisait à vélo, les outils ficelés sur le cadre. Parfois, la livraison d’une porte se faisait aussi à vélo, en la portant sur l’épaule !
C’est en 1954 que Roger commence à travailler avec des machines électriques alors qu’avant il travaillait entièrement à la main. L’électricité était pourtant arrivée dans le bourg depuis 1927. Il a fait également le service des pompes funèbres pendant 4 ans mais cette tâche était pénible surtout avec les jeunes défunts. Pendant la guerre, il se souvient d’un avion allemand qui a été abattu par des alliés au lieudit des chaumes, il se rendit sur les lieux, l’avion brûlait avec le pilote, son portefeuille était au sol mais… il fallut déguerpir rapidement car la patrouille allemande arrivait ! Par la suite, en 1943, Roger fut requis pour le Service du Travail Obligatoire à la gare de Poitiers. En juin 1944, cette même gare fût bombardée, une bombe toucha la maison où il était hébergé rue Champagne mais il était heureusement… en repos chez ses parents à Lavausseau !
Roger se souvient des événements météo, la tempête qui fait tomber en 1954, la haute cheminée de la Tannerie de Lavausseau qui s’écrasa tout près d’une chambre d’enfant, mais aussi des inondations d’après-guerre ; grippé, il est appelé pour secourir l’épicière chez qui l’eau monte ; très vite, il faut mettre des cales sous les provisions, vite, vite, mais arrivé au bout, en se retournant, il faut mettre des nouvelles cales car l’eau monte toujours, toujours ! si vite qu’au final, Roger se retrouve avec de l’eau au niveau de la poitrine, une corde lui est lancée, des piquets sont plantés…ce qui finit, heureusement, par bloquer la cuve à fuel de la Tannerie qui dérivait au fil de l’eau et qui aurait risqué de boucher l’écoulement du pont …
Et le Tramway ! Roger s’en souvient mais c’est un souvenir douloureux qui lui revient : il l’a emprunté avec sa mère pour aller se faire arracher une dent à Latillé quand il avait 7 ans ! Il se souvient aussi du forgeron Lochon qui rebattait à longueur de journée, les pioches des ouvriers qui travaillaient à la carrière de Chatcourtaud pour extraire la pierre, le ballast qui servait à la construction des voies du tramway. Ce Lochon se fit ensuite embaucher à la compagnie des tramways.
L’épouse de Roger habitait la Croix Girard, après l’école elle aimait bien rentrer tôt à la ferme pour voir le passage du tramway, le voir disparaitre en contournant la ferme et puis son retour sur la route de Poitiers. Pour s’assurer de l’arrivée du train, elle n’hésitait pas à poser l’oreille sur les rails… Le tramway faisait une halte à Bas-Etang pour prendre de l’eau dans le ruisseau, ensuite, il lui fallait redémarrer pour monter la pente vers la Croix-Girard et il arrivait que le train patinait. Un jour, Le père de Roger, Marcel, accompagné de son ami Marcel Rossard, n’hésitèrent pas à descendre du tramway pour pousser les wagons : le convoi s’ébranla si bien que les deux compères ne purent le rattraper. Leurs épouses, restées dans le tramway étaient mécontentes. Arrivées à la gare de Poitiers qu’elle ne fut pas leur surprise de voir leurs époux déjà arrivés, ils avaient été pris en voiture par Monsieur Guionnet, Maitre-tanneur de Lavausseau, qui les avait transportés jusqu’à Poitiers. Ils étaient sans aucun doute, les premiers auto-stoppeurs du canton !!!
Déjà 3 heures passées avec Roger, la mémoire intacte, le sens de l’anecdote et ses témoignages appuyés par les photos et les cartes postales, lui, « l’ancien » de l’Association Vaucella . Merci à vous Roger !
Rencontre 2006 avec M. Jean Cazin et son épouse née Jallais
Madame Cazin est née en 1921 et elle est arrivée à la ferme de la Montagne à Béruges en 1923 et en est repartie en 1932.
De la Montagne elle allait à l‘école à Ferrières et au catéchisme à Béruges. Elle a fait sa communion à Béruges. Vers 1930, le Curé de Béruges conversait régulièrement avec l’instituteur dans son jardin qui longeait l‘école en contrebas des halles et de la mairie. Ils étaient très liés et se renseignaient mutuellement sur les garnements dont ils avaient la charge.
Madame allait de temps en temps rendre visite aux cousins à qui habitaient à la ferme à côté du château de Visais. Dans le bourg, au coin du chemin qui descend à la voie romaine, il y avait l‘épicerie, l‘épicière ne semblait pas savoir lire car parfois à l‘église elle tenait son missel à l’envers, mais elle savait très bien compter…..
A la ferme de la Montagne, en plus des animaux domestiques courants, des oies blanches étaient élevées pour le duvet, il fallait prendre soin qu’elles ne le salissent point sinon le duvet était déclassé. Elles étaient ensuite vendues au marché de Latillé, achetées parfois par Marsonneau de Châtellerault. Certaines étaient dépouillées, les plumes restant dessus la dépouille, qui après traitement faisait un accessoire de mode porté par les élégantes parisiennes, « le cygne ».Les élégantes de Paris, m’en parlez pas ! Elle se souvient plus tard, à l‘époque des premiers congés payés, des cousines de Paris qui sont venues en vacances. Elles ont fait sensation dans le bourg de Montreuil-Bonnin et honte à Mme Cazin en se promenant avec des robes….qui avaient un dos largement échancré !!
Le tramway passait sur la chaussée de la Départementale 40, juste devant la ferme. Les relations étaient bon enfant. Un soir des coups à la porte : c‘était les employés du tramway qui avaient arrêté la machine et qui venaient se faire payer un verre…la tram n’avait pas d’arrêt à cet endroit sauf quand ils voulaient se faire payer un verre…il faut dire que la prochaine halte buvette de la courtille était à au moins 2 km !! Parfois les employés venaient dire qu’ils avait vu une vache sur la voie… mais c‘était encore pour prendre un verre… tradition d’une autre époque !
A la halte de l’Aumône, il y avait une guérite, un abri comme les abris bus que l’on voit maintenant pour les écoliers. Il était situé presque en face de l’angle de la route de Lavausseau et celle de Ferrière. Il y avait une autre guérite à la courtille. Dans chaque convoi il y avait au moins un chauffeur, un contrôleur et un autre employé. Elle se souvient du nom d’un chauffeur : Lochon…Une fois Mme a pris le tram à la Courtille pour aller au mariage d’une cousine à Château du Loir dans la Sarthe. Sacrée expédition à l‘époque, les hommes étaient restés à la ferme. Une réduction du prix du voyage avait été obtenue par un cousin de la famille, mais il fallait rester sur le réseau de l‘état la même compagnie que le cousin. Apres un changement à Poitiers le trajet passait à Montreuil-Bellay, Château lavallière… le tarif réduit ne pouvait s’appliquer qu’une fois par an. Le tram lui était pris rarement seulement pour aller faire des courses à Poitiers et s’acheter des vêtements.
A Montreuil-Bonnin la gare était tenue par Mme Coutant Delphine. Son mari travaillait sur le réseau des tramways. Il est décédé suite à la chute d’un arbre. Veuve elle est restée à la gare. Elle était aussi lingère et faisait des coiffes à Mme Jallais mère.
Il y avait aussi un «commissionnaire » de Vasles qui passait avec une remorque à cheval, Mr et Mme Amilien. Ils étaient âgés. Ils faisaient le trajet Poitiers-Vasles. Ils allaient chercher les courses, « les commissions » que les gens du trajet leur commandaient.
Par la suite c’est l’entreprise Chargelegue de Vasles avec ses cars qui a pris la suite du tramway. Son épouse tenait un café à l’entrée de Vasles. La mobilité des cars et camions permettait de déposer les colis dans les hameaux voisins, rapidement l’essor de l’automobile a tué le tramway. Chargelegue un soir a emprunté une lampe tempête aux parents Jallais pour rentrer, car il était tombé en panne de phares, avec la portée d’une telle lampe on imagine la vitesse au retour ! .. Un jour de grande affluence de jeunes passagers n’avaient pas hésité à monter sur la galerie du car. Mais à Poitiers vers le pont Achard Mr Chargelegue a arrêté le car et a dit aux jeunes de descendre car ça ne faisait pas très sérieux. Autres temps, autres mœurs….
Son mari Jean C. est né en 1923. Par la suite il est passé par la Gironde et a conservé un petit accent. Il habitait tout près de la halte de tramway de la Motte commune de Montreuil-Bonnin. Cette halte desservait surtout les habitants de la Chapelle-Montreuil et faisait aussi buvette. La famille de Jean a par la suite acheté une table de la buvette et nous avons eu le plaisir de prendre nos notes dessus : au moins centenaire, 2 m 50 de long, un grand tiroir « la tirette dau pain » et un petit tiroir pour les couverts. Les colis étaient déposés directement dans la cuisine. La buvette était tenue par Angeline et Delphine Quintard… Il y avait aussi un taxi avec une torpédo Renault qui venait attendre les voyageurs à la Motte et qui en attendant en profitait pour jouer aux cartes.
Monsieur Jean est parti en 1943 faire 6 mois de STO à la base sous-marine de Bordeaux avant de s‘évader…mais ça c’est une autre histoire… !
A suivre …